Depuis des siècles, Umbraculum évoque un lieu où l’on se retire du monde matériel.* Un lieu ombragé pour réfléchir et pour travailler, loin de la vie courante. Jan Fabre a reconstitué ce cadre à sa propre façon. Sur le sol, il a disposé sept anciennes machines à scier, qu’il a posées sur des bûches plutôt que de les ancrer dans le sol comme on a coutume de le faire. Dépouillées de leur vie précédente, ces machines incarnent la mémoire silencieuse du labeur dur, sale et pénible.*Entre les machines à scier, planent deux personnages, entièrement constitués de segments d’os humains. Ils ressemblent à des pèlerins ou à des moines du Moyen Âge. Ils n’ont pas de visage, ils ne sont qu’enveloppe. Aux murs sont accrochés des bras et des jambes, également confectionnés en segments d’os, au plafond sont suspendus des béquilles, des déambulateurs, des fauteuils roulants, entièrement recouverts de scarabées. Ils rappellent les ex-voto dans les églises médiévales. Privés de leur fonction, ces objets sont placés là en souvenir des infirmes qui peuvent à nouveau marcher. Ils témoignent ainsi de leur reconnaissance pour la grâce obtenue, qui leur a permis de recouvrer leurs forces et de reprendre le cours de leur vie.
Dans l’espace, le son des anciennes machines à scier résonne comme une mémoire indistincte qui suinte des murs. Un souvenir du passé industriel.
Umbraculum paraît nous concerner indirectement, en créant un contexte où sont réunis l’humain, l’univers industriel, un certain danger et une spiritualité mystérieuse. Le tout nous force à réfléchir au travail, à la vie, et à notre propre existence humaine et vulnérable.** Les deux pèlerins nous invitent à nous retourner de l’intérieur vers l’extérieur, à porter notre squelette en surface comme une armure entre nous et l’univers, et à nous concentrer sur notre être intérieur et fragile.
Éric Mézil* fait référence au chamanisme. En entrant en contact avec les esprits de nos ancêtres, qui habitent des objets magiques tels que des animaux et des ossements, nous pouvons sortir de nous-mêmes. Les rituels permettent aux chamans d’entrer en transe et d’ainsi quitter notre monde. Apparaît alors un nouvel être, capable de réconcilier le cycle de la vie et de la mort.Umbraculum invite à chercher de nouveaux rituels qui, dans notre monde moderne, nous permettent de nous consacrer plus à notre être spirituel.
Umbraculum ressemble à un lieu où plusieurs passés se rencontrent et où le temps s’est arrêté. Ici règne le temps cuirassé, le temps qui fait office de bouclier entre moi et mon existence matérielle, si agitée. Mieux encore,Umbraculum est un lieu hors du temps, où le cycle de la vie et de la mort se fige. Un lieu où nous échappons à notre moi temporel.
* Jan Fabre & Éric Mézil, Umbraculum, un lieu ombragé pour réfléchir et travailler, cat., Avignon, Coll. Lambert & Actes Sud, 2001, 132 p.
** Préface de Dr Gerhard Kilger dans : Jan Fabre & Éric Mézil, Umbraculum, un lieu ombragé pour réfléchir et travailler, cat., Avignon, Coll. Lambert & Actes Sud, 2001, 132 p.